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Chicken Tax : la taxe oubliée qui a changé l’industrie automobile américaine

Le , cette mesure protectionniste vieille de six décennies, demeure l’un des outils les plus efficaces et méconnus de la politique commerciale américaine. Née d’une querelle diplomatique autour du poulet en 1963, cette taxe de 25% sur l’importation de véhicules utilitaires a façonné le paysage mondial, contraignant les constructeurs étrangers à déployer des trésors d’ingéniosité pour accéder au lucratif marché américain. Entre guerre commerciale, adaptations industrielles et conséquences durables, découvrez comment un conflit sur la volaille a transformé l’industrie du pick-up pour les générations à venir.

La guerre du poulet qui a changé l’automobile

L’histoire du Chicken Tax commence par une dispute qui n’avait rien à voir avec l’automobile. Au début des années 1960, l’industrie avicole américaine connaissait une révolution. Grâce à de nouvelles méthodes d’élevage industriel, les États-Unis produisaient du poulet en quantités massives et à des prix défiant toute concurrence. Les exportations de volaille américaine vers l’Europe explosèrent, passant de 25 millions à plus de 170 millions de dollars entre 1958 et 1962.

Les agriculteurs européens, particulièrement en France et en , crièrent à la concurrence déloyale. Sous la pression des lobbys agricoles, la Communauté Économique Européenne (ancêtre de l’UE) imposa en 1962 des droits de douane prohibitifs sur le poulet américain. Du jour au lendemain, les exportations américaines chutèrent de 67%.

Le président Lyndon B. Johnson, fraîchement arrivé au pouvoir après l’assassinat de Kennedy, cherchait à affirmer son autorité sur la scène internationale. Son décida de riposter avec une série de taxes ciblées sur des produits européens stratégiques. Parmi eux, les camionnettes légères, les cognacs, les pommes de terre et… le jus de dextrines.

Walter Reuther, puissant leader du syndicat automobile UAW, profita de l’occasion pour pousser à l’inclusion des véhicules utilitaires dans cette liste. Son objectif? Freiner l’invasion des populaires qui gagnaient du terrain sur le marché américain. Le 4 janvier 1964, Johnson signa l’ordre exécutif 232, imposant une taxe de 25% sur les camionnettes légères importées.

Ce qui devait être une mesure temporaire de représailles s’est transformé en pilier permanent de la politique commerciale américaine. Soixante ans plus tard, alors que les autres produits visés ont vu leurs taxes disparaître, le Chicken Tax sur les véhicules utilitaires demeure intact.

Le règne sans partage du pick-up américain

L’impact du Chicken Tax fut immédiat et dévastateur pour les importateurs. Volkswagen, qui vendait environ 50 000 fourgonnettes par an aux États-Unis, vit ses s’effondrer. La taxe de 25% rendait simplement impossible la vente de pick-ups étrangers à des prix compétitifs.

Cette protection a permis aux constructeurs américains de régner sans partage sur le segment des pick-ups, l’un des plus rentables de l’industrie automobile. Le Ford F-150, le Silverado et le Ram 1500 sont devenus des institutions nationales, générant des marges estimées entre 10 000 et 13 000 dollars par véhicule.

Un ancien dirigeant de Toyota a un jour qualifié le marché américain des pick-ups de « poule aux œufs d’or protégée par un mur de 25% ». Les chiffres lui donnent raison: en 2022, les trois pick-ups américains les plus vendus ont totalisé plus de 1,8 million d’unités, représentant près de 14% de toutes les ventes de véhicules aux États-Unis.

Cette domination a eu des conséquences profondes sur la culture automobile américaine. Le pick-up s’est transformé d’outil de travail en véhicule familial de tous les jours, symbole de l’ américaine. Dans certains États comme le Texas, un pick-up sur deux vendus est désormais un modèle haut de gamme dépassant les 60 000 dollars.

L’art du contournement créatif

Face à cette barrière douanière, les constructeurs étrangers ont développé des stratégies ingénieuses pour accéder au marché américain. L’une des plus célèbres fut celle de Ford avec son Transit Connect, bien que Ford soit une entreprise américaine.

Fabriqué en Turquie, ce véhicule utilitaire était expédié aux États-Unis comme… minivan pour passagers! Équipé de fenêtres latérales et de sièges arrière, il n’était taxé qu’à 2,5%. Une fois sur le sol américain, Ford retirait systématiquement les sièges et installait un plancher plat pour le transformer en fourgonnette commerciale.

Ce manège a duré jusqu’en 2013, quand les douanes américaines ont fini par qualifier cette pratique de « théâtre absurde » et ont forcé Ford à payer la taxe complète. Le constructeur a alors déplacé la production du Transit Connect en Espagne, puis finalement aux États-Unis.

Subaru a créé l’un des véhicules les plus étranges de l’histoire automobile pour contourner la taxe: le BRAT (Bi-drive Recreational All-terrain Transporter). Ce petit pick-up comportait deux sièges en fixés dans la benne, face à l’arrière. Ces sièges, rarement utilisés et dangereux, avaient une seule fonction: reclassifier le véhicule comme « voiture particulière » plutôt que comme utilitaire.

Un avenir incertain à l’ère électrique

Après six décennies, le Chicken Tax fait face à de nouveaux défis. L’émergence des véhicules électriques et la transformation de l’industrie automobile mondiale pourraient enfin ébranler cette mesure protectionniste.

Des constructeurs comme Rivian, Tesla avec son Cybertruck, et même des marques chinoises comme BYD proposent désormais des pick-ups électriques qui redéfinissent le segment. La question se pose: les véhicules électriques devraient-ils être soumis aux mêmes règles que leurs homologues à combustion?

Plusieurs accords commerciaux récents ont tenté d’adresser la question du Chicken Tax. L’administration Obama avait négocié le Partenariat transpacifique (TPP) qui prévoyait l’élimination progressive de cette taxe sur 30 ans. Mais le retrait des États-Unis de cet accord en 2017 a préservé le statu quo.

L’ de cette taxe est également questionné. En favorisant les gros pick-ups américains généralement plus gourmands en carburant, le Chicken Tax pourrait être considéré comme contraire aux objectifs climatiques. Certains économistes estiment que son abolition pourrait encourager l’importation de véhicules utilitaires plus petits et plus efficaces.

Malgré ces pressions, les grands constructeurs américains et les syndicats de l’automobile continuent de défendre farouchement cette protection. Comme l’a résumé un analyste de l’industrie: « Le Chicken Tax est comme ces vieilles lois bizarres que personne n’ose abroger – tout le monde sait qu’elle n’a plus de sens, mais les intérêts en jeu sont trop puissants pour y toucher. »

Soixante ans après une querelle sur le poulet, cette taxe continue de façonner l’un des segments les plus emblématiques de l’industrie automobile mondiale, prouvant que dans le monde du commerce international, même les disputes les plus improbables peuvent avoir des conséquences durables.

Ce que vous devez retenir

  • Née d’une querelle diplomatique autour du poulet en 1963, cette taxe de 25% sur l’importation de véhicules utilitaires a façonné le paysage automobile mondial, contraignant les constructeurs étrangers à déployer des trésors d’ingéniosité pour accéder au lucratif marché américain.
  • Un ancien dirigeant de Toyota a un jour qualifié le marché américain des pick-ups de « poule aux œufs d’or protégée par un mur de 25% ».
  • en 2022, les trois pick-ups américains les plus vendus ont totalisé plus de 1,8 million d’unités, représentant près de 14% de toutes les ventes de véhicules aux États-Unis.

Rédigé par Martin Rochard

Je suis un rédacteur web spécialisé dans le monde des voitures de sport et des supercars, combinant ma passion pour les modèles classiques avec mon intérêt pour les véhicules de haute technologie. Fasciné par l'automobile et ses évolutions, je m'engage à explorer les dernières tendances, les innovations technologiques et les histoires fascinantes qui animent ce secteur.

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